Le mythe du foin : marketing ou science?
- Clapier Des Lucioles
- il y a 21 heures
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Pourquoi le foin est-il présenté comme l’aliment principal du lapin, et pourquoi cette idée mérite d’être remise en question.
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses associations de protection des lapins domestiques, comme la House Rabbit Society, recommandent le foin comme aliment principal, voire quasi exclusif, dans l’alimentation des lapins. Cette ligne directrice est aujourd’hui largement acceptée dans le monde anglophone et s’est propagée dans d’autres pays. Pourtant, en retraçant l’origine de cette recommandation, on constate qu’elle repose sur des fondements scientifiques discutables, en plus d’ignorer les comportements alimentaires naturels du lapin sauvage.
Une recommandation issue d’une vieille extrapolation sur les cochons d’Inde
La promotion du foin comme base de l’alimentation lapine remonte aux années 1980-1990. À cette époque, certaines études nutritionnelles menées sur les cochons d’Inde ont mis en évidence l’importance des fibres longues pour la digestion et l’usure dentaire. Ces résultats ont été généralisés aux lapins, à une époque où l’on pensait à tort que les deux espèces étaient étroitement apparentées.
Or, les lapins sont des lagomorphes, et les cochons d’Inde sont des rongeurs. Ils ne partagent ni la même dentition, ni la même façon de mastiquer, ni les mêmes besoins nutritionnels. L’adoption aveugle de ces conclusions a posé les bases d’un modèle alimentaire qui ne repose pas sur la physiologie réelle du lapin.
Ce que mangent vraiment les lapins dans la nature
Dans leur habitat naturel, les lapins se nourrissent principalement :
d’herbes fraîches et feuillages tendres,
de tiges et de brindilles,
d’écorces et de jeunes pousses.
Le foin, c’est-à-dire de l’herbe séchée, n’existe pas dans leur environnement naturel. C’est un aliment fabriqué et conservé par l’humain. Il est sec, souvent poussiéreux, plus riche en silice, et beaucoup moins riche en humidité et nutriments que les végétaux frais.
Le foin n’est pas une garantie de bonne santé dentaire
On affirme souvent que le foin est indispensable pour l’usure des dents. Or, plusieurs études récentes montrent que l’usure dentaire provoquée par le foin peut être inégale, voire problématique. Chez certains lapins, il contribue à des malocclusions, notamment au niveau des molaires, ou à une usure excessive.
Une mastication plus latérale – induite par des végétaux frais et fibreux (feuilles, herbes, branches tendres) – favoriserait une usure plus naturelle et plus équilibrée.
Une industrie qui profite de la peur du “manque de foin”
Il est également important de souligner que le discours actuel autour du foin est largement soutenu et diffusé par l’industrie des produits pour animaux de compagnie. Certaines compagnies, qui vendent du foin séché à des prix extrêmement élevés (jusqu’à 30 $ pour un sac de 3 kg), ont tout intérêt à maintenir ce modèle alimentaire comme la norme.
Ces entreprises sponsorisent des guides vétérinaires, des conférences, des influenceurs et des refuges, consolidant ainsi le message selon lequel le foin doit représenter 80 à 90 % de la diète d’un lapin. Ce marketing, habilement camouflé en conseils de santé, repose davantage sur des enjeux économiques que sur une véritable analyse scientifique actualisée.
Revenir à une approche plus naturelle
Une alimentation plus proche du régime naturel du lapin devrait inclure :
des herbes fraîches (pissenlit, plantain, trèfle, mil),
des feuillages comestibles (framboisier, mûrier, noisetier),
des légumes-feuilles variés,
des branches tendres à gruger.
Le foin, s’il est bien conservé et apprécié par le lapin, peut rester un complément utile. Mais il ne devrait pas être érigé en aliment principal par défaut, surtout lorsqu’il est imposé pour de mauvaises raisons.
Conclusion
L’idée que le foin doit être l’aliment de base du lapin domestique n’est pas fondée sur l’observation de la nature ni sur une physiologie propre à l’espèce. Elle repose sur des extrapolations anciennes, des intérêts commerciaux et une forme de tradition militante. Il est temps de remettre en question cette norme et d’ouvrir la voie à une alimentation plus diversifiée, fraîche, et en phase avec les besoins réels du lapin.
Sources:
L’étude de Böhmer et Crossley (2009) a analysé 528 radiographies de lapins, cochons d’Inde et chinchillas pour évaluer objectivement les maladies dentaires. Elle a révélé que de nombreux lapins présentaient des malocclusions, même sans symptômes visibles, soulignant que l’usure dentaire peut être inégale malgré une alimentation riche en foin.
Référence : Böhmer, E., & Crossley, D. A. (2009). Objective interpretation of dental disease in rabbits, guinea pigs and chinchillas. Tierärztliche Praxis Ausgabe K: Kleintiere / Heimtiere, 37(04), 250-260.
Les lapins sauvages consomment principalement des herbes fraîches, des feuilles, des brindilles et de l’écorce, variant leur alimentation selon les saisons. Le foin, en tant qu’herbe séchée, n’est pas une composante naturelle de leur régime alimentaire.
Référence : Squeaks and Nibbles. (2022). What Do Wild Rabbits Eat? A Guide To The Natural Wild Rabbit Diet.
Certaines entreprises spécialisées dans les produits pour animaux de compagnie promeuvent le foin comme aliment principal pour les lapins, vendant des sacs de foin à des prix élevés (jusqu’à 30 $ pour 3 kg). Cette promotion est souvent soutenue par des campagnes marketing ciblant les propriétaires d’animaux, influençant ainsi les recommandations alimentaires.
Référence : The Spruce Pets. (2022). The 9 Best Pellets, Hay, Chews, and Cubes for Rabbits.
Une étude a examiné la diversité morphologique des crânes de lapins domestiques et son impact sur l’interprétation des maladies dentaires. Elle souligne que la variabilité des formes crâniennes peut influencer l’évaluation des problèmes dentaires, suggérant que les recommandations alimentaires devraient être adaptées individuellement.
Référence : Böhmer, C., & Crossley, D. A. (2019). Skull Shape Diversity in Pet Rabbits and the Applicability of Anatomical Reference Lines for Objective Interpretation of Dental Disease.

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