Le méga-côlon chez le lapin: comprendre, diagnostiquer et prendre en charge
- Clapier Des Lucioles
- 13 oct.
- 5 min de lecture
1. Qu’est-ce que le méga-côlon?
Le terme méga-côlon désigne une dilatation anormale du côlon accompagnée d’une perte de motricité et d’une accumulation de matières fécales. Chez le lapin, deux formes principales existent :
Le méga-côlon congénital (ou héréditaire), lié à une mutation du gène English spotting (En) qui affecte la pigmentation et l’innervation intestinale.
Le méga-côlon acquis, qui résulte d’un trouble secondaire comme la stase digestive chronique, la dysbiose, la douleur ou une alimentation inadaptée.
Selon Oglesbee (2020), le méga-côlon représente une conséquence de l’hypomotilité intestinale plutôt qu’une maladie isolée. La distinction entre cause primaire (génétique) et cause secondaire (fonctionnelle) est essentielle pour choisir le bon traitement.
2. Le méga-côlon
congénital
(forme héréditaire)
2.1. Origine génétique : le gène
English spotting
Le méga-côlon héréditaire est fortement associé au gène En, responsable du motif “broken”.
Les lapins En/en sont tachetés (broken).
Les lapins En/En, appelés “charlies”, présentent peu de pigmentation (moins de 10 %) et sont prédisposés au méga-côlon.
Des études menées sur les lapins Checkered Giant (Fontanesi et al., 2014) ont démontré que le gène KIT, associé au locus English spotting, joue un rôle clé. Les chercheurs ont observé une diminution majeure de l’expression du gène KIT dans le côlon et le caecum des lapins En/En, entraînant une réduction des cellules interstitielles de Cajal, indispensables à la motricité intestinale.
Bödeker et al. (1995) ont également constaté des anomalies dans le réseau nerveux du côlon des lapins En/En : la paroi colique est plus fine, la musculature lisse moins dense, et l’innervation plus pauvre. Ces altérations expliquent la dilatation progressive du côlon observée chez les lapins homozygotes.
Le site de référence OMIA (Online Mendelian Inheritance in Animals) classe ce syndrome comme une maladie héréditaire autosomique récessive liée au locus English spotting (gène KIT).
2.2. Physiopathologie
Le méga-côlon congénital se caractérise par :
une motilité intestinale très lente,
une rétention fécale chronique,
un déséquilibre électrolytique au niveau du caecum,
et une accumulation de mucus dans les selles (Bödeker et al., 1995).
La combinaison d’un défaut des cellules de Cajal et d’une innervation anormale provoque une dysfonction neuromusculaire progressive.
Les crottes deviennent volumineuses, irrégulières, parfois brillantes ou enrobées de mucus. La perte de poids et la malabsorption apparaissent avec l’âge (Tomlin, 2018).
2.3. Facteurs aggravants
Même si la mutation génétique est la cause primaire, la gravité clinique dépend de l’environnement : stress, alimentation, flore digestive et qualité du foin peuvent moduler la sévérité (Rabbit Welfare Association, 2023).
C’est pourquoi certains lapins En/En restent stables des années, alors que d’autres développent une forme sévère dès les premiers mois.
3. Le méga-côlon
acquis
(forme secondaire)
Le méga-côlon acquis se développe à la suite d’un trouble digestif prolongé qui altère la structure ou la motricité du côlon.
Il n’a aucun lien avec le gène En, et peut toucher des lapins de toute couleur, y compris les selfs (unicolores).
3.1. Causes fréquentes
Alimentation déséquilibrée : trop pauvre en fibres et trop riche en amidon ou sucres. Ce type de régime modifie la flore intestinale et ralentit le transit (Oglesbee, 2020).
Dysbiose : destruction de la flore bénéfique après un antibiotique inadapté ou une période de stress (Johnson-Delaney, 2018).
Douleur chronique : dentaire, urinaire ou articulaire — elle perturbe le système nerveux entérique.
Troubles nerveux ou cicatriciels : après chirurgie ou infection.
Stress ou manque d’exercice, qui réduisent la motilité intestinale.
Selon Hillyer (2019), ces formes acquises sont souvent réversibles si la cause est identifiée tôt et traitée correctement.
4. Symptômes caractéristiques
Les signes typiques du méga-côlon incluent :
Crottes de tailles inégales, parfois géantes ou recouvertes de mucus ;
Alternance de diarrhée et de constipation ;
Perte de poids progressive ;
Poil terne, diminution d’appétit ;
Ballonnement abdominal intermittent.
Dans les cas congénitaux (En/En), les symptômes apparaissent jeunes et s’aggravent avec le temps.
Dans les cas acquis, ils surviennent après un épisode de stase ou une maladie digestive.
5. Diagnostic vétérinaire
La démarche diagnostique comprend :
Examen clinique complet, y compris palpation abdominale et évaluation de l’état d’hydratation.
Imagerie (radiographie ou échographie) pour observer la dilatation colique et exclure une obstruction.
Analyses de selles pour détecter parasites ou dysbiose.
Examen dentaire, car les troubles bucco-dentaires peuvent causer une stase chronique.
Évaluation de la robe et du pedigree, utile pour différencier les formes génétiques des formes acquises.
Selon Bödeker et al. (1995), la confirmation du méga-côlon héréditaire repose sur la combinaison du phénotype charlie (En/En) et des anomalies histologiques du côlon.
6. Traitement et prise en charge
6.1. Principes de base (toutes formes confondues)
Le traitement vise à restaurer la motilité, prévenir la déshydratation et corriger la cause sous-jacente.
Les protocoles de référence (Oglesbee, 2020 ; Hillyer, 2019 ; Tomlin, 2018) recommandent :
Hydratation (orale ou sous-cutanée selon l’état).
Alimentation riche en fibres : foin de graminées à volonté, granulés complets à 18 % de fibres ou plus.
Réduction du sucre et de l’amidon.
Réalimentation assistée avec bouillie fibreuse (Critical Care).
Prokinétiques : cisapride (stimulation colique) ou métoclopramide (stimulation gastrique), uniquement sous supervision vétérinaire NAC.
Analgesie : meloxicam ou buprénorphine selon les cas.
Probiotiques et prébiotiques pour soutenir la flore caecale.
Traitement de la cause primaire (douleur, infection, stress, déséquilibre alimentaire).
6.2. Particularités de la forme congénitale (En/En)
Les épisodes de stase sont chroniques et récurrents.
Une gestion à vie est souvent nécessaire : régime à fibres élevées, hydratation constante et suivi vétérinaire fréquent.
Les lapins atteints ne doivent pas être reproduits, car la transmission génétique est démontrée (Fontanesi et al., 2014 ; OMIA, 2021).
7. Pronostic
Forme acquise : bon si la cause est identifiée tôt.
Forme congénitale (En/En) : pronostic réservé à long terme, car la motilité ne peut pas être complètement rétablie. Le but est le confort de vie, non la guérison.
Rabbit Welfare Association (2023) souligne que certains lapins charlies vivent plusieurs années avec une prise en charge adaptée, mais présentent des rechutes fréquentes si l’alimentation ou l’hydratation sont négligées.
8. Points clés à retenir
Le méga-côlon n’est pas toujours génétique, mais la forme En/En l’est clairement.
Les lapins self peuvent développer une forme acquise du syndrome, mais pas la forme héréditaire liée au gène English spotting.
L’approche thérapeutique repose sur la correction de la cause et la prévention des rechutes.
En élevage, éviter absolument les croisements broken × broken, car 25 % de la descendance sera En/En, donc à risque.
9. Références intégrées
Bödeker, D. et al. (1995). Pathophysiological and functional aspects of the megacolon-syndrome of homozygous spotted rabbits (En/En). Journal of Veterinary Medicine A.
Fontanesi, L. et al. (2014). The KIT gene is associated with the English spotting coat color locus and congenital megacolon in Checkered Giant rabbits. PLoS ONE, 9(4): e93750.
Oglesbee, B.L. (2020). Gastrointestinal Diseases of Rabbits. In: The 5-Minute Veterinary Consult: Small Mammal. Wiley-Blackwell.
Hillyer, E. (2019). Gastrointestinal stasis and motility disorders in rabbits. Veterinary Clinics of North America: Exotic Animal Practice.
Rabbit Welfare Association & Fund (2023). Megacolon in the domestic rabbit: clinical management.
Tomlin, M. (2018). Megacolon in the domestic rabbit. Veterinary Nursing Journal.
Johnson-Delaney, C.A. (2018). Exotic Companion Medicine Handbook for Veterinarians. Elsevier.
OMIA (2021). Congenital megacolon in rabbits (OMIA 000629-9986), University of Sydney.

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